La politique de défense et de sécurité dans la Constitution congolaise du 18 février 2006 : quid du titulaire ?
Note de l'éditeur : Cet article a été initialement publié en français sur le blog IACL-AIDC le 7 avril 2022. Nous sommes fiers de nous associer au blog IACL-AIDC pour donner une voix mondiale aux questions importantes pour le continent africain.
Liminaire
La Constitution de la République démocratique du Congo a été élaborée dans un contexte de belligérance fondamentalement marqué par une forme d’équilibre de la terreur.
Ce texte constitutionnel est traversé par une réelle volonté de dégager un compromis et un équilibre interinstitutionnels.
En ce sens, le constituant a voulu faire dialoguer les institutions de manière permanente en ce qui concerne les matières essentielles à la vie nationale.
Il en est ainsi pour la défense et la sécurité qui constituent des domaines de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement au titre de l’article 91 alinéa 2 de la Constitution. À ce niveau, il est opportun de préciser qu'il n’existe aucun texte sous-jacent à la Constitution qui organise juridiquement la norme de collaboration énoncée par la Constitution.
Toutefois, il est pertinent de relever que l’article 69 in fine de la même Constitution accorde au Président de la République des prérogatives exorbitantes en matière de défense et de sécurité. Il indique en effet que le Président de la République est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et de la souveraineté nationale.
En filigrane et au-delà de la pure technique du droit, il ressort de ce qui précède un conflit entre deux éléments structurants : une tradition dans la conception du chef en République démocratique du Congo et une exigence contextuelle.
Cette réflexion va donc s’articuler autour de ce conflit avant de proposer un renversement de perspective.
1. Tension normative entre les articles 69 et 91 de la Constitution de la République démocratique du Congo
L’article 69 de la Constitution congolaise a été rédigé en des termes quasi identiques à ceux de l’article 5 de la Constitution française.
Au-delà de la prégnance du modèle constitutionnel français, il faut reconnaître à la suite de Jean-Marie Breton que l’Afrique a lentement trouvé, au fil des années, les ferments de son originalité, les assises de sa légitimité, les conditions de son efficacité, et les forces de sa créativité. Dès lors, il est certain que l’écriture des Constitutions contemporaines est un rituel juridique qui porte le poids de l’histoire et de la tradition.
La Constitution congolaise de 2006 ne présente pas de dérogations à cette logique nonobstant plusieurs éléments d’extranéité en son sein.
En termes d’histoire et de tradition, il est opportun d’indiquer que le schéma mental des Congolais n’intègre pas l’existence d’un chef dépourvu du pouvoir de défendre le territoire national et d’assurer la sécurité des personnes. De manière inductive, on peut globalement relever cette réalité en Afrique subsaharienne. En effet, les chefs comptaient parmi les figures charismatiques dans la gestion des conflits au sein des sociétés traditionnelles.
L’interprétation génétique de l’article 69 de la Constitution de 2006 rend parfaitement compte de la conception ci-dessus.
Alors que la défense et la sécurité sont perçues dans l’imaginaire collectif congolais comme des domaines d’intervention exclusifs du Chef de l’État, l’article 91 de la Constitution de 2006 les place expressis verbis dans une perspective de collaboration avec le Gouvernement. Il faut remonter aux sources de l’histoire contemporaine de la République démocratique du Congo pour trouver la justification de l’articulation de cette disposition constitutionnelle. En effet, la Constitution de 2006 a été élaborée dans un fragile contexte post-conflit dans lequel chaque protagoniste disposait encore pleinement de son armée. Cette Constitution est donc l’expression des rapports de force entre différentes dynamiques militaires qui ont entrepris de se neutraliser mutuellement.
Dans une approche comparative, on peut en revanche noter – comme le fait Sandrine Cursoux-Bruyère – qu’en France la Constitution est particulièrement floue quant à la répartition des attributions militaires entre le Président de la République et le Premier ministre et son gouvernement.
Le flou, entretenu volontairement par le constituant français, est éclairci par une pratique constitutionnelle qui consacre la prééminence du Président de la République dans le domaine de la défense, tant il intervient dans tout le processus militaire : armement, stratégie, opérations, etc.
L’émergence du concept de domaine réservé forgé par Jacques Chaban-Delmas s’inscrit dans cette lignée.
En République démocratique du Congo, la dichotomie entre la tradition portée par l’article 69 et la charge contextuelle de l’article 91 est de nature à générer des conflits.
Il est évident que le problème ne se pose pas si les institutions appartiennent à la même majorité politique.
“Cette Constitution est donc l’expression des rapports de force entre différentes dynamiques militaires qui ont entrepris de se neutraliser mutuellement.”
La grille de lecture est différente dans le cadre d’une cohabitation. La tendance est alors à la constante remise en cause de la suprématie présidentielle. Chaque camp politique revendique légitimement ses prérogatives constitutionnelles. De 2019 à 2020, la République démocratique du Congo a connu les prémices d’une pareille situation, qui a démontré à suffisance de fait et de droit qu’elle est porteuse d’un germe crisogène indéniable.
Cette logique politique et institutionnelle potentiellement changeante au gré des cycles électoraux est une émanation légitime de la démocratie. Toutefois, elle peut se révéler très dangereuse dans un contexte où il n’existe pas encore d’armée républicaine : l’armée de la République démocratique du Congo n’a pas encore atteint le statut de force républicaine. Après avoir subi plusieurs processus de brassage et de mixage, l’armée congolaise porte en son sein plusieurs armées qui obéissent plus à leurs anciennes appartenances rebelles qu’au commandement suprême. Aussi, il est utile de préciser que plusieurs cadres hauts placés actuels en République démocratique du Congo, Premiers ministres potentiels, sont issus des rébellions.
Ainsi donc, est-ce qu’un pays avec une armée à loyautés multiples marquée par la permanence des conflits armés est-il prêt à soutenir, pendant un mandat de 5 ans, une crise entre le Président de la République et le Premier ministre dans le domaine de la défense et de la sécurité ?
2. La cohérence constitutionnelle en matière de défense et de sécurité comme gage de stabilité
Le contexte ayant encadré l’élaboration de la Constitution de 2006 a évolué fondamentalement après trois cycles électoraux. Les éléments qui structurent l’expression de la force ont suivi un mouvement allant de l’horizontal au vertical. En ce sens, les dynamiques armées ne gravitent plus autour du pouvoir central comme ce fut le cas pendant la période de 2003 à 2006. On observe actuellement un décentrement et un émiettement de la violence armée. Cette assertion se vérifie par le fait que l’État, en tant que dépositaire exclusif des pouvoirs publics, combat plusieurs groupes armés.
Un tel tableau invite à poursuivre l’homogénéisation de l’armée congolaise, qui demeure encore une hydre. Il s’agit là d’une construction qui mobilise une double exigence :
-L’unification du commandement de l’armée qui de facto obéit à des réalités sous-régionales complexes et subtiles ;
-La professionnalisation de l’armée qui doit devenir un tout cohérent strictement soumis aux textes qui le régissent.
Ce processus de réforme pour aboutir à une armée-institution doit être mené sur le long terme dans un climat de stabilité politique continue.
Dès lors, il est préoccupant de noter que les non-dits et les contradictions métas-textuelles au sein de la Constitution n’offrent pas un environnement qui protège les secteurs de la défense et de la sécurité des aléas de la vie politique.
La centralité immuable de l’État repose sur la défense et la sécurité. Ces questions devraient échapper aux faiblesses de la plasticité constitutionnelle.
L’une des fonctions essentielles de la Constitution est de produire la stabilité et la durabilité du cadre juridique dans lequel les acteurs politiques évoluent.
La cohérence impose que la défense et la sécurité soient placées sous l’autorité d’un titulaire à titre exclusif.
Une lecture systémique de la Constitution de 2006 tend à orienter la réflexion vers la dévolution exclusive de ces secteurs au Président de la République tant l’article 69 expose ses manifestations à travers d’autres dispositions constitutionnelles pertinentes notamment les articles 72, 83 81, 85, 86.
En ce sens, la prégnance de l’article 83 de la Constitution mérite d’être mise en exergue : “Le Président de la République est le commandant suprême des Forces armées. Il préside le Conseil supérieur de la défense.”
Ces éléments s’inscrivent dans un continuum constitutionnel qui laisse à penser que le Constituant de 2006 a souhaité faire du Président de la République l’unique autorité dépositaire des matières relevant de la défense et de la sécurité.
En dépit du fait qu’il s’agit d’une disposition qui structure fondamentalement l’agencement du pouvoir, la lettre et l’esprit de l’article 91 de la Constitution du 18 février 2006 se trouvent ostracisés par rapport à l’ensemble du texte de la Constitution en ce qui concerne les questions sous examen.
Au demeurant, il faut se rendre à l’évidence que deux issues normatives nuancées se dégagent à la lumière de tout ce qui précède :
-Organiser et limiter rigoureusement la collaboration exécutive énoncée par l’article 91 à travers un texte juridique autre que la Constitution, afin de lui garantir un prolongement existentiel ;
-Réécrire cette disposition en l’amputant de questions de défense et de sécurité afin d’assurer la lisibilité du bloc de cohérence constitutionnelle.