Les changements anticonstitutionnels de gouvernement: mode ou contre mode ?
Editors’ note: This post is part of a joint symposium between the IACL-AIDC Blog and African Law Matters, featuring posts on the theme ‘Constitutional Transformations’ from participants at the upcoming World Congress of Constitutional Law in Johannesburg, South Africa 5-9 December 2022. Submit an abstract by 30 June 2022 and register here to join us.
Ce billet apparait dans le cadre d'un symposium conjoint entre le blog IACL-AIDC et African Law Matters, avec des articles abordant le thème des « Transformations constitutionnelles » présentés par des participants au prochain Congrès mondial de droit constitutionnel à Johannesburg, en Afrique du Sud, du 5 au 9 décembre 2022. Pour nous y rejoindre, veuillez envoyer un résumé de votre proposition avant le 30 juin 2022 et inscrivez-vous ici.
Les changements anticonstitutionnels de pouvoir continuent de représenter un défi majeur pour le constitutionnalisme africain.
Survenant par la force des armes ou à travers une subtile modification de la constitution, ne conservant qu’une apparence de légalité, ce phénomène est récurrent sur le continent noir et génère de lourdes menaces pour la démocratie et l'état de droit. La fréquence des changements inconstitutionnels ces dernières années nous amène à nous demander s’ils ne se sont pas érigés en une nouvelle mode d’ascension au pouvoir.
La prolifération des changements anticonstitutionnels comme mode de dévolution du pouvoir
Les changements de gouvernement anticonstitutionnels se généralisent en Afrique de l’Ouest et du centre. Loin d’être un exemple des cas isolés, de 2020 à 2022, cette partie du continent a connu quatre changements contraires à l’ordre constitutionnel préétabli (au Mali, au Burkina Faso, et Guinée et au Tchad) et deux tentatives de coup d’État (au Niger et en Guinée-Bissau).
Si les urnes demeurent le principal mécanisme de désignation des gouvernants, la tendance observée ces dernières années permet d’affirmer que la remise en cause des élections est devenue pour certains le seul moyen d’accéder au pouvoir. On constate en effet que malgré l’avènement de la démocratie et de l’état de droit, les militaires régulent, s’immiscent dans la gestion du pouvoir.
Les alternances démocratiques sont devenues l’exception au profit des changements inconstitutionnels qui tendent à s’ériger en règle. Par exemple, dans la sous-région ouest-africaine, seuls le Mali et le Niger ont connu une alternance démocratique (celle d’Alpha Oumar Konaré à Amadou Toumani et celle de Mahamadou Issoufou à Mohamed Bazoum) ; seuls le Bénin, le Ghana, le Nigeria et le Sénégal ont connu plus de deux alternances démocratiques.
Par ailleurs, pour les autres États, la vie politique est caractérisée par un transfert de pouvoir récurrent entre militaires et civils. Tous ces changements anticonstitutionnels intervenus ont des causes communes liées soit à la gestion de l’insécurité, soit aux révisions de la constitution ou encore à la crise de succession.
L’insécurité a en outre entrainé de nouvelles menaces à l’encontre du processus électoral. Au Mali par exemple, la fermeture de plusieurs bureaux de vote en raison de l’insécurité a favorisé le déclenchement des crises post-électorales et du coup d’État militaire du 18 août 2020. Les mêmes raisons ont été avancées au Burkina Faso pour renverser le Président Marc Christian Kabore, juste quelques mois après sa réélection pour un deuxième mandat.
En effet, la plupart des changements anticonstitutionnels ont leurs racines dans la révision non consensuelle de la constitution. On assiste à une banalisation de la révision de la constitution opérée par les chefs d’État ayant déjà fait deux mandats. Le plus souvent, c’est avec la complicité des cours constitutionnelles (voir le chapitre de Stéphane Bolle « Cours constituantes d'Afrique », dans L'amphithéâtre et le prétoire).
Cette modification contestée ouvre malheureusement une brèche aux ruptures démocratiques et aux changements anticonstitutionnels. La Guinée est un parfait exemple où le Président Alpha Condé a modifié la constitution pour briguer un troisième mandat jusqu’à ce qu’il soit déposé en septembre 2021 par la junte militaire.
Le dernier facteur qui favorise les changements anticonstitutionnels est la crise de succession au pouvoir. Même si toutes les constitutions prévoient de manière claire l’autorité qui doit succéder au président en cas de vacance du poste jusqu’aux nouvelles élections, cela n’empêche pas les tenants du pouvoir à violer allègrement les dispositions constitutionnelles.
Le précédent de la Côte d’Ivoire, suite au décès du président Houphouët Boigny ou celui du Président togolais en 2005, illustre parfaitement cette violation flagrante de la constitution. Le cas le plus récent est celui du Tchad où l’armée a placé le fils militaire du défunt président Idriss Déby Itno à la tête de l’État, alors qu’il revient, selon l’article 82 de la constitution, au président du Sénat d’assurer la transition.
Ces changements anticonstitutionnels ne sont pas tolérés par les organisations communautaires.
“…la tendance observée ces dernières années permet d’affirmer que la remise en cause des élections est devenue pour certains le seul moyen d’accéder au pouvoir.”
2. Une mode répudiée par les organisations régionales
Le rejet des changements anticonstitutionnels par les organisations régionales est matérialisé par l’adoption de plusieurs documents officiels. Au sein de l’Union africaine (UA), l’article 30 de l’Acte constitutif prévoit que « les gouvernements qui accèdent au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels ne sont pas admis à participer aux activités de l’Union ». On peut également citer la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui condamne les changements anticonstitutionnels.
L’UA ne se contente plus de condamner ces changements dans des déclarations comme sa devancière. Elle impose des sanctions à l’encontre des États (suspension, restrictions commerciales, droit d’intervention, etc.) et des auteurs (refus de visas, gel des avoirs financiers, poursuite judiciaire), même si leur efficacité reste encore à prouver.
Au niveau sous régional, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), s’est dotée d’un Protocole sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité qui dispose à son article premier alinéa (b) : « Toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes ». L’alinéa (c) renchérit que « Tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ».
C’est conformément à ces instruments juridiques que les récents changements anticonstitutionnels ont été sanctionnés au Mali, au Burkina et en Guinée. Mais force est de constater que ces sanctions ne dissuadent pas les auteurs des coups de force. L’intervalle très court dans lequel sont intervenus les trois coups d’État est assez illustratif de cet état de fait. De plus, la pratique des instances régionales contraste avec le retour de l’ordre constitutionnel ancien.
On assiste plutôt à un marchandage sur la durée de la transition en lieu et place de la restauration de l’ordre constitutionnel déchu. On peut aussi remarquer l’application à géométrie variable des sanctions, le Tchad par exemple n’a fait l’objet d’aucune sanction d’ordre économique. Les condamnations de principe répétées des changements anticonstitutionnels de gouvernement sont ainsi-elles ainsi suffisantes pour enraciner le respect de l’État de droit et de la hiérarchie des normes en Afrique?